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L'ENFANT ET LES ECRANS

Soumis par admin le ven, 2018/23/02 - 13:41
Beaucoup de parents et d'enseignant(e)s d'ikastola s'inquiètent de la place sans cesse croissante que prennent les écrans numériques dans nos vies et surtout celle de nos enfants.
Plusieurs ikastola ont déjà organisé des conférences-débats sur le sujet, quand d'autres se posent la question de la proscription pure et simple de ces outils au moins provisoirement  (opération "école sans écran").
Dans ce contexte, il nous a paru intéressant de mettre en ligne le compte-rendu de la passionnante intervention du docteur Michel Desmurget aux "Journées de la Petite Enfance" de Bayonne du 16 mars 2017. Plusieurs parents d'élèves et d'enseignant(e)s d'ikastola et des salarié(e)s de Seaska étaient présent(e)s.  

 

Conférence « L’enfant et les écrans » par le Dr Michel Desmurget (CNRS Lyon)

Bayonne - Maison des Associations (Glain) (GLAIN) du 16 mars 2017

Intro

  • Plasticité du cerveau de l’enfant
  • Le cerveau est une machine auto-organisatrice
  • L’environnement joue un rôle fondamental (même si « l’intelligence » a une base génétique)

 

Base génétique / rôle de l’environnement

Expérience avec des rats de laboratoire

Sélection génétique de 2 catégories de rats :

  • un groupe de rats « intelligents » (réussite et rapidité dans les tests)
  • un groupe de rats « idiots » (lenteur et échecs récurrents dans les tests)
 
  • Dans un environnement « pauvre » (peu de confort ou de stimulations), les rats « intelligents » auront tendance à devenir « idiots » alors que pour les rats « idiots » pas de changement notable.
  • Dans un environnement « riche » les rats « idiots » vont progresser tandis qu’il n’y aura pas de différence pour les « intelligents ».

 

Observations de groupes d’orphelins roumains proches du retard mental (dû à d’énormes carences affectives)

Suite à leur adoption, ils ont gagné de nombreux points de QI, grâce à un environnement « riche » et « stimulant »
La « neuroscience de la pauvreté » a mis en évidence l’impact de la misère socio-économique sur le développement cérébral de l’enfant qui y est confronté

 

Les écrans à la maison : environnement favorable pour l’enfant ?

Consensus dans la communauté scientifique :
Les écrans ont un effet néfaste pour l’enfant ! Ils doivent être à proscrire absolument avant 2 ans ! A la rigueur 30 minutes / 1 h maximum par jour entre 2 et 5 ans - sans jamais laisser l’enfant seul, et en commentant / discutant avec lui de ce qu’il regarde. Quelle que soit la qualité supposée du contenu : TF1 ou ARTE se valent, mêmes résultats !
Selon les institutions :  Le CSA recommande de ne pas exposer l’enfant avant 3 ans et pour les 3 / 6 ans propose des « sessions courtes » de programmes adaptés à leur âge. A Taiwan, écrans interdits (sous peine de poursuite et d’amendes sévères) pour les  moins de 2 ans et 30 minutes / jour recommandés pour les moins de 18 ans !

 

Selon les études, les écrans :

  • sont néfastes pour le développement sensori-moteur (motricité fine)
  • favorisent l’apparition de tous les problèmes DYS
Psy / enseignants/ pédiatres tirent la sonnette d’alarme et appellent à éloigner les tablettes des enfants en bas âge !
A lire : « Les marchands de doute » (Naomi Oreskes & Erik M. Conway)

 

Temps passé devant l’écran

Selon une enquête pour la chaîne Gulli

  • Les 4 / 6 ans passent 2h22 / jour
  • Les 7 / 10 ans passent 2h53 / jour
  • Les 11 / 14 ans passent 3h22 / jour
Pour une moyenne de 3 h / jour on arrive à 1100 heures /an (soit 250 heures de plus qu’à l’école !)
A 6 ans, l’enfant aura passé un an de vie éveillée devant l’écran !

 

Répercussions

D’après les études scientifiques longitudinales anglo-saxonnes (sur 30 ans), on constate pour les enfants exposés aux écrans :

  • Baisse du vocabulaire/lexique (-11%)
  • Difficultés dans la numération (-7%)
  • Problèmes de locomotion dus à la sédentarité (-9%)
  • Baisse de la motivation et de l’investissement en classe (-49%)
  • Augmentation de la consommation de sodas sucrés à cause de la publicité (+63%)
  • Augmentation de l’indice de masse corporelle - IMC (+35 %)
  • Risques accrus de sortir du cursus scolaire sans diplôme (+45%)

 

  • L’exposition aux images violentes (football US ou dessins animés violents) entraînent des troubles du comportement (indiscipline, triche, détériorations des biens …)
  • Effondrement des résultats globaux aux examens SAT (fin du secondaire avant l’entrée à l’université aux USA) depuis les années 1970 et l’entrée massive de la TV dans les foyers (au moment où la nouvelle génération commençait à acquérir le langage)
  • Baisse de l’espérance de vie (augmentation des AVC et baisse de la capacité cardio-vasculaire) à cause de la sédentarité des enfants au moment où l’activité physique est indispensable pour le développement des artères.
  • Effondrement des interactions intrafamiliales (-40% pour les enfants de 3-6 ans) entre les parents et les enfants et surtout au sein de la fratrie.
  • L’interaction visuelle entre le parent et le bébé est indispensable pour le développement (l’écran n’y joue aucun rôle rassurant car le bébé ne sait pas où regarder. La trop grande stimulation visuelle de l’image mouvante le « rend fou »)
  • Ex : test des bébés singes (dans les années 50) privés de toute interaction avec leur mère et qui en meurent ! Tests jugés trop cruels et interdits aujourd’hui !
  • Baisse de la créativité : le test du bonhomme (dessins beaucoup plus pauvres chez les enfants exposés aux écrans)
  • Pour la première fois depuis le début des observations, on constate une baisse du QI moyen chez les ados d’aujourd’hui.

 

Rôle du sommeil

La mémorisation et le développement cognitif du cerveau se font la nuit et dépendent de la qualité du sommeil.

Les écrans provoquent une cascade de perturbations pour l’enfant :

  • Coucher plus tardif et diminution du temps de sommeil
  • Difficultés à s’endormir (excitation à cause de la production cérébrale de mélatonine due à la stimulation visuelle de l’écran)
  • Mauvaise qualité du sommeil (cauchemars, réveils nocturnes…)
  • Baisse des fonctions cognitives
  • Mauvaise sociabilité (un enfant fatigué n’a pas envie d’interagir avec les autres)
  • Impact sur la croissance

Il faut absolument proscrire les liseuses ou les TV dans les chambres (qui provoquent la baisse des résultats scolaires)

 

TV éducative ?

Que penser des « contenus éducatifs » à la TV ?
(Exemple aux USA de la vidéo « Baby Einstein » soit disant éducative de Disney pour les 8 / 16 mois)
On constate un appauvrissement du lexique.
On n’apprend pas à parler avec une vidéo ! Mais grâce à l’interaction avec un autre être humain !
Toutes les études scientifiques sur l’utilisation des écrans à l’école sont négatives !
A lire : « The smartest kids in the world » (Amanda Ripley) une étude comparative des différents systèmes éducatifs. Le seul critère qui prévaut est la qualité des enseignant(e)s et pas l’outillage technique !

 

TV ou lecture ?

La TV vole du temps aux interactions verbales précoces (-40% de lexique en moins dans les foyers où la TV est allumée/regardée 6 h/jour)
La TV nuit à l’apprentissage de la lecture (2 ans de retard sur le décodage basique des mots, sans parler du retard dans l’acquisition de la culture générale)
Dans n’importe quel livre, il y aura toujours plus de vocabulaire que dans n’importe quelle émission de TV. Le développement du lexique passe par la lecture ! Il faut passer du temps à lire avec l’enfant en bas âge, lui faire acquérir ce plaisir de la lecture (qui nécessite un effort supplémentaire à celui du simple visionnage passif d’un écran !)
Observation des performances des écoliers en orthographe et en maths (baisse constante pendant des décennies aux tests de l’Education Nationale - qui ont été supprimés depuis)
Rien ne remplace les livres (même si on peut constater dans les rééditions de certains  « classiques » de la littérature jeunesse (« Le club des cinq ») une adaptation à la médiocrité des nouvelles générations (remplacement des passés simples par un présent de narration, suppression des descriptions, réduction du lexique employé…)

 

L’attention

Il y a 2 types d’attention à distinguer :

  • Dans les jeux vidéos, l’attention visuelle est en jeu. Les nombreux stimuli en mouvement nous tiennent vigilants, en alerte.
  • Lors d’une tâche scolaire monotone (lecture, écriture, résolution d’exercice…) l’attention est focalisée sur des stimuli immobiles.
De nombreux enfants développent des troubles attentionnels à cause des jeux vidéos. En effet, à l’école, ce n’est pas la même « attention » qui est sollicitée.
Les enfants d’aujourd’hui ont une attention de 8 secondes seulement ! Ils décrochent dès que cela excède cette durée. Ils doivent fournir un effort pour acquérir cette attention

 

Poids de la publicité

Formule fameuse du PDG de TF1 « la TV doit vendre à Coca Cola du temps de cerveau disponible… »
La zone du cerveau qui est activée avec la publicité est celle de la mémoire.
Cette zone est réactivée lorsque l’enfant reconnait le logo /le nom du produit.
Test Coca : des tests de laboratoire ont montré que les gens préfèrent le goût du Pepsi à celui du Coca (en goûtant à l’aveugle) Toutefois lorsqu’ils voient le nom du produit sur des verres distinctifs ils choisissent Coca. Pepsi a investi dans la qualité du produit et Coca dans celle de la publicité : c’est Coca qui a gagné !
Idem pour le test des frites Mac Do (des frites identiques sont disposées dans des sachets différents : un sachet « Mac Do » et une autre marque. Invariablement les gens prétendront sincèrement préférer les frites « Mac Do » alors qu’il s’agit exactement du même produit)

 

Goût de l’effort et récompense différée

Pour bien réussir à l’école, le facteur crucial est l’autodiscipline (le goût de l’effort) qui pèse davantage que le QI.
L’enfant doit apprendre la patience et l’effort nécessaires pour obtenir la « récompense différée » (et ne pas se contenter de la satisfaction immédiate de son désir)
Test du bonbon (l’enfant laissé seul avec un bonbon a la promesse d’en obtenir un deuxième s’il ne le mange pas immédiatement) Les enfants qui résistent à la tentation pour obtenir une « récompense différée » auront en général de meilleurs résultats scolaires que les autres.

 

Les écrans à l’école ?

Pourquoi les écrans sont-ils en train d’envahir les écoles depuis la réforme de 2013 ?
Solution de facilité : il est parfois plus pratique de mettre les enfants devant un DVD que de les surveiller pendant qu’ils jouent dehors (ce qui nécessite plus de personnel encadrant)

Mais enjeu surtout économique :

  • D’une part des sociétés privées (Microsoft…) ont noué des partenariats substantiels avec l’Education Nationale.
  • D’autre part, un écran n’est jamais malade et ne fait jamais grève ! Cela permet des économies globales (par exemple en investissant dans une salle informatique et en réduisant le nombre d’enseignant(e)s… l’Education Nationale peut faire des économies)
 
Pourtant on ne sait pas encore si c’est une bonne solution ! Les logiciels n’ont pas forcément prouvé leur efficacité !
Les études d’évaluation sur les résultats des élèves sont en cours !
Imagine-t-on de distribuer en classe des manuels scolaires qui n’auraient pas été complètement validés ou bien qui seraient inachevés avec des pages blanches ? C’est pourtant ce qui est en train de se passer avec tous ces outils numériques dont on nous vante les pseudo-mérites !

 

En Israël et dans l’Etat de New York qui avaient été des pionniers dans l’équipement des écoles en outils numériques, on revient en arrière !
La Suède longtemps, considérée comme un modèle, a régressé au classement PISA (évaluation internationale des compétences des élèves) depuis qu’elle a massivement introduit les écrans dans ses écoles.
Les pays comme Taiwan qui sont en tête de ce classement n’utilisent pas d’écrans à l’école.

Seul avantage : pour les enfants en situation de handicap et pour lesquels l’écran peut être une aide bienvenue (facilité d’utilisation du support)

 

Conclusion

Pas de solution à préconiser ! Débrouillez vous !

Mais rappelez-vous :

  • pas d’écran avant 6 ans ! Jusqu’à 12 ans maximum 30 minutes / 1 heure par jour
  • Pas d’écran le matin avant d’aller à l’école (les ressources cognitives sont vite épuisées par le visionnage d’un écran… et dans les minutes qui suivent l’enfant ne peut pas être dans de bonnes dispositions pour l’apprentissage)
  • L’écran ne prédispose pas l’enfant à fournir les efforts nécessaires à son apprentissage. C’est l’effort fourni par l’enfant pour acquérir l’information qui fera qu’il la retiendra correctement et durablement.
  • Rien ne vaut la lecture « classique »
  • Exemple notoire des enfants des milliardaires de la Silicon Valley qui sont scolarisés dans des écoles sans écrans !
  • Site internet de réflexion d’enseignant(e)s sur la question : www.laviemoderne.net

 

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